Question : Qu’est-ce qui, au cours de votre carrière et avec votre recul, vous a le plus surpris (favorablement et défavorablement) dans le domaine de la forensique ?
Favorablement : d’avoir rencontré des scientifiques à travers le monde qui aboutissent au même constat sur la discipline, au départ sans coordination, mais après avoir été confrontés à des problèmes d’enquête difficiles et parfois foireuses, pour se détourner partiellement de leur discipline de base et développer la forensique à commencer par Gross (juriste), Locard (médecin légiste), Kirk (chimiste), Kind (biologiste), Reiss (chimiste), Fish (pharmacien) et tous les jeunes actuels (par rapport à moi 😉 ) comme vos collègues Daoust ou Crispino qui participent au DU.
Défavorablement : le nombre de fois où l’appel aux méthodes scientifiques a été très tardif alors qu’une intervention précoce aurait permis de résoudre des cas difficiles et qu’il n’était plus possible de rattraper. L’affaire du petit Grégory est probablement un exemple français emblématique.
Question : Comment imaginez-vous la forensique de demain ? Quel serait le rêve idéal ?
Je l’imagine toujours comme un domaine scientifique passionnant dont la méthode et les besoins fondamentaux sont ceux de la recherche. Dans un monde idéal je vois la forensique comme l’un des piliers de l’action publique et comme discipline essentielle dans la formation de tout personnel destiné à l’enquête. Une dimension éthique vise à ce que ces moyens ne soient pas utilisés à des fins politiques indésirables.
Question : Quelle discipline selon vous n’a pas encore été explorée et mériterait de l’être ?
Les réponses aux questions précédentes devraient rendre cette réponse évidente. L’analyse des traces de toute nouvelle activité humaine qui peut être à l’origine de phénomènes criminels, des risques pour la sécurité, etc. devrait faire l’objet de développement et recherches pour en extraire et comprendre les dimensions éclairantes dans une société démocratique.
Question : L’interdisciplinarité sera-t-elle toujours possible tant la maîtrise
de chacun des domaines scientifiques devient une affaire d’expert ?
En ce qui me concerne la forensique est une discipline sur le plan fondamental, mais comme énormément des disciplines scientifiques ou médicales, elle s’appuie et fait appel à de nombreux croisements disciplinaires qui lui donnent cette apparence interdisciplinaire par excellence. Les engagements de spécialistes disciplinaires donnent cette image trompeuse d’interdisciplinarité, même si ces spécialités nourrissent, parfois richement, la forensique.
Cela se voit dans notre époque contemporaine : avant 1985, la biologie (ou la médecine) ne se trouvait guère que dans l’analyse des groupes sanguins, la sérologie et les taches de sang, puis dès 1985, c’était la génétique avec Jeffreys… qui n’est souvent plus qu’un service d’analyse robotisé. L’analyse forensique n’est plus qu’accessoire dans de nombreux pays, en dehors des sentiers de la recherche génétique et en tant que « fournisseurs de résultats ». La généalogie génétique n’a plus grand-chose à voir avec la génétique, sinon que les généalogistes et les recherches familiales ont débouché sur des myriades de données génétiques en ligne et sans réglementations liées aux banques de données étatiques. Ces données montrent la puissance des liens qui peuvent être exploités dans une enquête ! L’objet est la trace que ces données fournissent pour qui comprend comment l’exploiter !