Entretien avec la Dr. Ribéreau-Gayon

Agathe Ribéreau-Gayon, PhD
Postdoctoral Fellow Researcher at REST[ES] (Research on Experimental and Social Thanatology)

Question : Pourriez-vous présenter succinctement vos travaux ? 

Mes travaux de recherche dans le domaine de l’anthropologie forensique portent sur la taphonomie forensique : l’étude de l’évolution du corps après la mort et les méthodes d’identification des restes humains en contexte médico-légal. Mes recherches s’articulent autour de deux axes principaux :  

1. La taphonomie des restes humains selon le climat et l’environnement de décomposition ; 

2. L’impact de la taphonomie sur l’identification humaine.  

Le premier axe comprend deux volets, en collaboration avec l’IRCGN, qui s’intéressent, respectivement, à la taphonomie en milieu terrestre et en milieu aquatique. Mes recherches dans ces deux axes se fondent sur des approches expérimentales menées, d’une part, sur documents médico-légaux fournis par l’IRCGN et, d’autre part, sur le site de taphonomie expérimental REST[ES] de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), premier site du genre au Canada. Ces derniers consistent en l’étude du processus de décomposition de donneurs (via le programme de don du corps du laboratoire d’anatomie de l’UQTR) afin de déterminer, dans des conditions contrôlées, l’impact du climat du Sud du Québec sur les manifestations biologiques de la décomposition et leur apparition au cours de la décomposition. L’objectif de mes travaux en cours et d’évaluer la pertinence de ces paramètres pour estimer le temps écoulé depuis le décès (ou intervalle postmortem) en cas de découverte fortuite de restes humains.  

Ces différents travaux, en partenariat avec des équipes internationales pluridisciplinaires, ont été publiés dans plusieurs articles et ouvrages à fort impact. Les résultats de ces travaux sont également diffusés sous forme d’enseignements universitaires, étant régulièrement invitée en tant que « guest lecturer » dans plusieurs universités canadiennes et américaines.


Question : Quels en sont les résultats notables ? 

Les travaux expérimentaux que je mène sur le site de REST[ES], au Québec, depuis bientôt deux ans, ont permis deux découvertes majeures pour le moment. Premièrement, nous nous sommes aperçus que les corps des donneurs ont tendance à « momifier » (dessication intégrale des tissus mous) et ce du printemps à l’automne inclus. Ce phénomène « fige » le corps dans le temps, retardant ainsi l’apparition de la squelettisation, paramètre utilisé jusque-là dans la littérature forensique comme indicateur de l’intervalle postmortem. A notre connaissance, c’est la première fois que ce phénomène de momification est observé, dans des conditions expérimentales contrôlées, au Québec et dans un climat continental humide, plus généralement. Jusque-là les climats humides n’avaient pas nécessairement été associés à la momification, phénomène plutôt connu dans des climats secs (arides ou glaciaires). Une autre découverte majeure permise par les travaux expérimentaux menés sur le site de REST[ES] a identifié que la décomposition humaine se poursuit au cours de l’hiver et, ce, malgré des températures négatives plusieurs mois durant et un couvert neigeux, voire de gel, important. La neige semble ainsi agir comme un isolant, emprisonnant la chaleur du corps et, ce faisant, permettant une activité microbienne, responsable de la décomposition des tissus. Conjointement, ces deux découvertes apportent une contribution significative au développement de nouvelles méthodes taphonomiques pour estimer l’intervalle postmortem et contribuer à l’identification de victimes en contexte médico-légal. 


Question : Quel sont leurs impacts prévisibles sur la science et la pratique ?

Les résultats de ces travaux permettent non seulement d’approfondir les connaissances actuelles sur la décomposition humaine mais également d’affiner les méthodes d’estimation de l’intervalle postmortem utilisées par les médecins légistes et les anthropologues forensiques dans des régions pour lesquelles il n’existait pas, jusque-là, de standard de référence, comme c’est notamment le cas au Québec et dans d’autres climats comparables. Ce faisant, ces travaux ambitionnent de renouveler les modèles interprétatifs en taphonomie forensique.  


Question : Comment comptez-vous les poursuivre ?

A moyen terme, les études expérimentales en cours sur le site de REST[ES] seront répliquées afin de comparer les résultats avec ceux déjà obtenus, grâce à l’étude menée en collaboration avec l’IRCGN, afin de renforcer les connaissances disponibles sur les modalités de décomposition de corps humains au Québec.

A plus long terme, l’objectif de mes travaux est de contribuer à cartographier la taphonomie humaine sous différentes latitudes et climats pour proposer des référentiels régionaux adaptés à la réalité du terrain considéré et ainsi épauler les services d’enquêtes dans leur mission d’identification lors de la découverte de restes humains en contexte médico-légal.

Question : Quel intérêt voyez-vous à la création du MBA forensique par le PJGN ?

En tant que chercheur en science forensique avec un parcours en France et à l’international (Royaume-Uni, Canada), il me semble que la création du MBA forensique par le PJGN répond directement a un besoin de formation académique, de haut niveau, pour renforcer les connaissances théoriques et pratiques sur la gestion de la science forensique en France. Premier MBA du genre, cette formation de pointe en science forensique permettra de rapidement positionner la France et le PJGN au premier plan de la pratique, de l’enseignement et de la recherche en science forensique, à l’échelle internationale. A terme, le MBA facilitera des collaborations fructueuses entre les différents acteurs de la science forensique : services d’enquête, praticiens et chercheurs.